Interview de Paola Di Nicola, sociologue de l'Université
de Verona.
Créer les conditions pour favoriser la conciliation entre
vie familiale et vie professionnelle représente aujourd'hui
une priorité dans les indications européennes. Quel
jugement donnez-vous de la situation de notre pays ?
Par rapport aux autres pays européens, en particulier aux
pays non méditerranéens, L'Italie présente
une situation de grave retard, sur le plan culturel comme sur le
plan politique et du travail. Voici quelques données qui
aident à comprendre. Sur le plan culturel, des modèles
de référence , les activités de soin sont encore
solidement dans les mains des femmes : les femmes consacrent aux
activités de soin et aux travaux domestiques le double du
temps des hommes ( 29 heures environ contre les 12 des hommes),
écart qui ne compense pas le moindre temps que les femmes
consacrent au travail professionnel (35 heures contre les 43 de
l'homme ). Le travail de soin est une spécialité féminine
cultivée dès le plus jeune age et qui caractérise
la femme italienne indépendamment de sa condition familiale
et professionnelle. Qu'elles soient single, filles, mères
ou épouses, des femmes on s'attend qu'elles s'occupent des
autres. Et c'est une attente qui devient plus pressante quand elles
ont des enfants. Cependant, alors que dans le passé, à
l'intérieur de relations de couple très complémentaires,
le travail de soin était ce que la femme donnait en échange
de sécurité et affection données par le mari-partner,
aujourd'hui, le travail familial ne garantit la femme ni sur le
plan de la sécurité, ni sur celui de la protection.
En général celles qui sont en plus grand risque de
pauvreté sont les femmes seules avec enfants ou les familles
avec enfants et un seul revenu. C'est à dire qu'aujourd'hui
les sujets à risque de pauvreté -des femmes en l'occurrence-
sont ceux qui ont décidé d'investir une part importante
de leur temps en activité de soin, au détriment du
travail professionnel. Il ne faut donc pas s'étonner si de
nos jours , en Italie, les familles s'orientent vers l'enfant unique,
et que en général , les femmes aient un taux de fécondité
très bas, qu'elles travaillent ou pas.. Sur le plan politique,
à coté d'une persistante indifférence pour
des politiques sociales explicites, directes et structurelles en
faveur de la famille qui tendent à rendre plus tolérable
la charge familiale, nous avons des normes et des lois qui protègent
beaucoup la travailleuse-mère. Normes qui fonctionnent très
bien dans le secteur public, qui n' absorbe qu'une petite partie
des femmes occupées- sur la base d'une enquête ISTAT
en 2002 sur les jeunes mamans, 30% des femmes appartenait au secteur
public , et 69% au privé : ces garanties risquent par ailleurs
de s'affaiblir avec la diffusion des contrats de travail atypiques,
sur quoi on vise pour l'augmentation des postes de travail.
Sur le plan de l'organisation du travail enfin la présence
des femmes est encore faible (taux d'occupation des femmes entre
15 et 64 ans de 42% en 2002) ; le part-time, choisi surtout par
les femmes , (16,7% des femmes contre 3,7% des hommes, en 2002)
est peu important , et donc le risque de sortir du marché
du travail à la naissance du premier enfant est élevé.
Toujours sur la base ISTAT de 2002, 6% des femmes a perdu le travail
à la naissance du premier enfant, 14% a décidé
d'abandonner à cause des horaires inconciliables ou pour
l'envie de se consacrer à la famille.
En présence de cette réelle faiblesse de la présence
féminine sur le marché du travail, ( en particulier
des femmes à basse scolarisation et qualification), dont
le talon d'Achille est le travail de soin dont elles se chargent,
penser qu'une vraie politique de conciliation puisse passer par
la réforme du marché du travail, signifie résoudre
le problème en le posant- comme dirait U.Beck- dans les mains
et dans le c?ur de ceux qui le vivent quotidiennement. C'est à
dire en donnant aux hommes et surtout aux femmes la liberté
totale de gérer tout seuls la situation et en transformant
la politique de la conciliation en une « politique de la vie
quotidienne », qui s'exprime dans les petites et grandes batailles
et les luttes de pouvoir que les hommes et les femmes sont appelés
à vivre tous les jours.
-Les familles avec enfants ont beaucoup de mal à concilier
le temps pour les soins et le temps du travail, en ayant souvent
recours à des organisations complexes. A votre avis quelles
seraient les solutions pour les soulager ?
Pour ce qui concerne les alternatives de soins pour les enfants
petits et grands ,( ce qui détermine une augmentation importante
de travail à l'intérieur de la famille), il existe
des variables de contexte qui contribuent à définir
le cadre à l'intérieur duquel les pères et
les mères font leurs choix en harmonisant les différents
moments de la vie quotidienne ( temps pour soi et temps pour les
autres ; temps pour les soins et temps pour le marché ; temps
productif et temps libre ; temps pour le couple et temps pour les
enfants,etc?) ; ce sont :
1.la participation au marché du travail des jeunes mères
( qui augmente les ressources de la famille)
2.l'existence de services pour la première enfance ( en
particulier de crèches).
3.la présence d'un réseau familial d'aide disponible
pour le soutien des soins aux petits.
4. le modèle de partage des taches à l'intérieur
du couple.
5.la qualité des services pour l'enfance : d'une simple
garde à un lieu attentif aux besoins affectifs et relationnels
des enfants.
Ces variables finissent par déterminer le domaine des ressources
sur lesquelles le couple peut compter pour opérer sa stratégie
de conciliation. La fatigue et les coûts de la conciliation
sont inversement proportionnels aux ressources disponibles. Si le
contexte est défini par les facteurs indiqués , les
solutions organisationnelles ne peuvent qu'être complexes.
Complexes dans le sens qu'il n'existe pas de modèle unique,
standardisé et reproductible pour tous les couples avec enfants
en bas age, et dans le sens qu'il ne suffit pas d'agir sur un seul
levier pour faciliter la conciliation ( par exemple part-time pour
les femmes, subventions pour que les femmes retournent à
la maison, services de garde pour les enfants, solutions proposées
en alternative) . Les cinq points cités ci-dessus deviennent
donc inévitablement le c?ur des politiques de compatibilité,
de conciliation entre temps de travail et temps de soin, qui opèrent
en jouant sur : les politiques des temps (du travail, des services,
de la ville), les services ( accrus du point de vue quantitatif,
qualitatif, et différenciés),l' équité
dans la distribution du travail entre femmes et hommes, avec l'objectif
non seulement de la compatibilité, mais aussi de la réduction
des coûts et de la fatigue.
Aujourd'hui il se pose une question d'ordre culturel sur le thème
du partage du travail de soin entre hommes et femmes. Vous voyez
quelques signes de changement ? Quel rôle pourraient avoir
les services et les politiques locales ?
Comme je l'ai dit au début, le travail de soin est encore
solidement dans les mains féminines ; ce qui ne signifie
pas cependant que l'homme-mari/partner, père- soit totalement
affranchi du travail familial, en se limitant à ramener le
salaire à la maison, et en restant étranger et externe
à tous les problèmes de gestion quotidienne. A supposer
que cette séparation nette des taches ait été
la règle à l'intérieur des familles nucléaires
qui naissent en Italie après la seconde guerre au moment
où les styles de vie , de consommation, les rapports dans
le couple commencent à se modifier de façon significative,
aujourd'hui la plupart des hommes a un rôle plus actif dans
l'organisation familiale. Il est difficile de quantifier l'entité
du changement, mais les quelques recherches effectuées ont
relevé que les pères d'aujourd'hui participent de
façon beaucoup plus active que leurs propres pères.
De même les recherches, certainement partielles faites sur
les familles avec de jeunes enfants montrent un bon niveau de participation
des hommes dans le travail familial. En effet ils ne se limitent
plus à faire jouer les enfants, ils sont en mesure de les
soigner et les nourrir dès le plus jeune age, ils les amènent
et /ou vont les chercher à l'école, ils continuent
à faire du bricolage et entretien de la maison, ils font
les courses, et s'il le faut, ils font la cuisine et repassent :
Il existe certainement des signes de changement, cependant ce sont
les pères avec une scolarisation moyenne ou élevée
à être le plus disponibles ; ( ce sont des hommes qui,
souvent, ont une compagne avec une instruction élevée
et qui travaille). Cette dernière remarque aide à
comprendre la nature de la responsabilisation masculine : ce n'est
pas que l'homme se propose spontanément , mais il est entraîné,
stimulé, mis à contribution par la femme. Et c'est
surtout la femme qui a une activité professionnelle mieux
rétribuée ? du point de vue économique , de
satisfaction personnelle et de prestige social- qui réussit
à obtenir le plus d'aide et de soutien pour les soins , non
seulement de la part du mari/partner, mais aussi du réseau
parental ( parents et beaux-parents). Dans cette situation en mouvement
des actions visant à promouvoir, diffuser et soutenir une
plus grande utilisation des congés parentaux de la part des
hommes aideraient à développer un protagonisme masculin
dans le domaine des soins, tout en sachant que les temps sont longs,
et que toutes les transitions culturelles marquent un vrai changement
seulement si elles ne sont pas imposées par le haut. Dans
ce sens les politiques locales aussi pourraient agir, en prévoyant
des actions intégratives, qui rendent indifférent,
du point de vue économique, que le congé soit pris
par l'homme ou par la femme. Les services aussi pourraient contribuer
à promouvoir une prise de conscience sur la nécessité
d'un partage plus juste des travaux de soin, si dans un hypothétique
« parcours naissance » on allait au-delà de la
responsabilisation de l'homme pour les cours de préparation
à l'accouchement et en salle d'accouchement. En thème
de santé et de soin des jeunes enfants, il devrait entrer
dans la routine de tout opérateur de s'adresser indifféremment
au père ou à la mère, sans penser que le maternage
, en tant que soin, est surtout ou exclusivement féminin.
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